Carnet de route

Le malade imaginaire, la brèche de Roland, Handicap Evasion

Sortie :  randonnée handicap évasion du 26/04/2020

Le 26/04/2020 par Lambert Pierre

Ceux qu’il était question d’honorer ce dimanche 26 avril sont évidemment bien réels et n’ont rien de commun avec celui qu’incarnait Molière dans ses dernières représentations. Puisque la sortie est annulée, confinement oblige, nous voyagerons virtuellement dans un endroit extraordinaire, chanté par Victor Hugo : un massif qu’il nous serait difficile de fréquenter facilement, où l’assistance à des malades démunis de motricité serait le fruit d’une grande générosité compte tenu des difficultés du terrain.

Qu’on ne s’y trompe pas, Hand in Cap n’est pas un obstacle aux joies de la montagne.

Comment oublier cette aveugle qui effleurait de ses doigts les parois rocheuses de la montée précédant celle de l’arête Payot, écoutant simplement son guide, alors qu’ils montaient à tête Rousse ?Je ne sais si l’objectif était le toit de l’Europe, il m’est apparu maladroit de me renseigner.

Comment oublier cette skieuse qui descendait les pentes de la station de Bonneval sur Arc malgré une amputation en cuisse, aidée de ses bâtons sans pointe mais chaussés de skis miniatures ? D’autres unijambistes ont effectué des ascensions très difficiles, bien au-delà de 4000 mètres.

Comment oublier cette image d’un malade porté en Joëlette sur un sentier plutôt rocailleux, carte postale découverte à l’un des festivals du curieux voyageurs de Saint-Etienne, il y a quelques années ?

Comment oublier, et nous sommes trop peu à pouvoir en témoigner, les paisibles souvenirs des sorties annuelles du CAF-Nord Dauphiné avec Handicap Evasion, la joie simple d’une randonnée techniquement « quelconque » mais désintéressée, le partage des délicates attentions des organisatrices et organisateurs ?

Jacques Sémelin, universitaire travaillant sur les déterminismes des massacres de masse nous rapporte ses difficultés quotidiennes, ses voyages transcontinentaux pour dispenser ses enseignements, et ses joies malgré sa cécité (Je veux croire au soleil).

Les escapades de Jean-Dominique Bauby - complètement paralysé à l’exception d’un battement de paupière et d’une discrète rotation de la tête - sont plus connues : « J’ai mal aux talons, la tête comme une enclume et une sorte de scaphandre qui m’enserre tout le corps (…), devient moins oppressant et l’esprit peut vagabonder comme un papillon. Il y a tant à faire (…) partir pour la terre de Feu (…), réaliser ses rêves d’enfants et ses songes d’adulte. (…) Y-a-t’il dans ce cosmos des clefs pour déverrouiller mon scaphandre ? » (le scaphandre et le papillon).

Hand In cap : les deux significations premières nous sont données dans une chronique de vocabulaire médical d’une revue professionnelle débutant par la rubrique du dictionnaire de Littré, philosophe et lexicographe de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle : « Genre de courses dont la distance et les poids ne sont indiqués qu’après l’engagement. Le handicap a pour but d’égaliser les chances des concurrents en équilibrant les poids de façon que le plus mauvais cheval ait autant de chances que le meilleur de gagner la course. (…) Primitivement espèce de jeu de hasard qui consistait en ce que trois joueurs mettaient une somme égale dans un chapeau ; on tirait au sort, d’où HAND, IN, CAP ». Cap est plutôt traduit dans le Harrap’s par bonnet, casquette, toque ou képi.

Voici maintenant le cadre de cette improbable sortie :

Le belvédère du Piméné (2801 m) en offre un superbe point de vue, et dans une moindre mesure, c’est aussi le cas des surplombs du village : le fond du cirque de Gavarnie, d’un diamètre de presque 800 mètres est évidemment très fréquenté par les touristes mais il existe un passage à l’ouest permettant d’accéder aux gradins supérieurs : l’échelle des Sarradets, parfois nommés les échelles car s’il faut y mettre les mains dans la première partie, la largeur du passage et quelques variantes du sentier justifient cette deuxième appellation. C’est très aérien, sympathique et rentable, à éviter pour les novices s’il pleut. On est en permanence dos à cette grande cascade dont la chute est de plus de deux cent mètres.

On accède alors à une sorte de vallon, situé entre l’arête est du pic des Sarradets au nord et le prolongement ouest du cirque, sorte d’immense alcove sans plafond limitée au sud par les parois verticales de La Tour et du Casque. Point n’est besoin de se rendre au col des Sarradets qui termine le vallon car on se trouve peu avant, en contrebas de la brèche de Roland à laquelle on accède par son glacier moribond. Il n’y a plus de crevasses mais les crampons sont utiles s’il fait froid. A défaut, après avoir parcouru le bas de la pente, on accède à une sorte de terrasse qui permet de revenir sur le deuxième gradin du cirque d’où la vue est également superbe.

Le passage est un peu délicat juste avant la brèche et les vents souvent puissants. Les éboulis sud ne sont pas accueillant et on a plus envie de longer les parois bordant la brèche, à l’ouest vers le pic du Taillon (3144 m), à l’est en contournant le Casque ; on peut ainsi revenir vers la Tour et la crête frontalière qui correspond à la limite supérieure la moins élevée du cirque. On contemple alors de plus près les pics de la cascade et le sommet du cirque, lui aussi à l’est, le Marboré : la montée directe Nord ou son arête Nord-ouest exigent évidemment un niveau d’alpinisme conséquent (glacier avec pente jusqu’à 50 degrés, arête assez difficile). En revanche, on peut continuer à cheminer sur les flancs sud du cirque et après avoir contourné ces sommets, y monter par la voie normale, tout aussi plaisante et ponctuellement vertigineuse quand on jette un œil par l’espèce de col qui sépare l’épaule du Marboré de ces pics est.

Monter sur le Mont Perdu n’est pas non plus difficile ; le piolet voire les crampons peuvent être utiles même si la pente est moins raide qu’il n’y parait de loin (néanmoins, le névé fond inexorablement) mais l’accès au col du Cylindre assez périlleux. Cependant, poursuivre ce périple et descendre sur le glacier nord-ouest du Mont Perdu permet de le contempler depuis le lac glacé de Tuquerouye, remonter sur les pics d’Astazou qui sont juste à l’est du cirque mais il vaut mieux connaître déjà les lieux, bivouaquer et aimer les longues journées. Il faudrait un autre long récit pour détailler un tel parcours.

Au moment d’achever cette rédaction, on apprend par le journal radiophonique que deux jeunes imprudents ont risqué leur vie et celle des sauveteurs dans cet endroit extraordinaire : leur sous-équipement et leur impréparation étaient flagrants. Ayant parcouru de nombreuses années cette région, combien de fois ai-je du renoncer à certains passages ou panoramas, ayant choisi la tente plutôt que les crampons, ou bien déçu par un brouillard qui ne m’ôtait cependant pas la satisfaction d’avoir reconnu le parcours.

Dans les jours suivant, la pièce de Molière était célébrée dans une émission de France culture et le comportement de son personnage principal analysé et même confronté au contexte actuel :

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie

Michel aurait du encadrer une randonnée à skis sur plusieurs jours dans les Encantats, ce n’est pas très loin de Gavarnie, souhaitons que ce bref récit vous fera aimer les Pyrénées.

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