Carnet de route
Ch'(t)'i-mène à la Combe Madame , as-tu du coeur?
Le 06/04/2019 par Lambert André
L’objectif de cette sortie était le Rocher blanc 2928 mètres d’altitude par le Vallon de la combe Madame, dans le massif de Belledonne après avoir remonté la vallée en direction de Fond de France : soient un peu plus de 1800 mètres de dénivelé positif ; nous nous contenterons du col à 2641 mètres, notre groupe n’étant pas parfaitement homogène, qu’il s’agisse du manque de ponctualité d’un gars d’outre-Rhône, ou de ses moindre performances ; c’est bien là le mérite du club alpin français, partager en prenant le temps d’accueillir. Nous étions six au départ de Bourgoin Jallieu, Marc, Marion, Michel, nos encadrants, et Caroline, Thierry et l’auteur de ce récit. Le nom des deux autres protagonistes masculins cités par la suite a été modifié comme l’impose le secret des professions médicales, paramédicales, juridiques…Les photos ont été prises par Marion en général.
Les chutes de neige du mercredi précédent ce premier samedi d’avril ont été abondantes si bien que nous pouvons monter à skis après seulement quelques minutes de marche : cela nous évite une montée de 700 mètres de dénivelé à pieds ! Dans un parcours initialement boisé, le chant des oiseaux est apaisant et surpasse le frottement des peaux. Une petite erreur sur l’itinéraire nous conduit à franchir le ruisseau sans ski, l’un de nous s’improvisant lanceur de ski, évitant de justesse le membre d’un autre groupe et la perte des siens du fait d’une poudreuse abondante. Il aurait fallu rester dans le bois et au nord du ruisseau pour éviter à nouveau une longue traversée que Marc trace avec énergie. Me retrouvant à un moment en avant-dernière position, c’est bien plus facile que de progresser immédiatement derrière lui !
Les sommets hérissés qui nous entourent sont superbes et c’est seulement vers 2400 mètres, après que la combe a tourné, que nous pouvons apercevoir le Rocher blanc aux formes arrondies. L’objectif paraît cependant ambitieux compte tenu de l’heure avancée et de la longueur de la descente. Il est donc décidé d’aller au col de la Combe Madame où le vent est comme toujours conséquent et la vue limitée à la crête du pic de l’Etendard, le ciel se voilant franchement. N’est ce pas la Meije que l’on voit dépasser au fond ? Sa brèche à l’air un peu étriquée en largeur mais en consultant une carte, elle est bien dans cet azimut. Malgré une couche épaisse et molle, la neige est plutôt bonne si bien que Thierry et Marion dessinent une jolie tresse menacée de disparition prochaine, tout comme la flore selon un géographe, « parce que les fleurs sont éphémères » répondait-il au petit Prince.
Redescendus vers 2200 mètres d’altitude, alors que nous nous regroupons, Thierry reconnaît la voix d’un skieur d’un autre groupe, non identifié visuellement ; nous l’appellerons Amédée Hansky. Après une belle accolade, Amédée nous partage son inquiétude concernant Rodrigue Caurenèye (j’espère que tous ces détails ne vous font pas bailler d’ennui). En effet, ce skieur chevronné ressent une oppression thoracique, alors qu’il a déjà eu un traitement pour insuffisance coronaire (maladie à risque d’infarctus du myocarde). Evidemment préoccupé par ce signe d’alerte pour son coeur, je constate avec désespoir qu’il est bien plus redescendu que nous avec le reste de son groupe, ce qui ajoute une difficulté supplémentaire puisque son niveau de ski dépasse largement le mien, il fallait bien faire un choix entre les études et l’entraînement…La passion et la raison, une vraie bouteille à l’encre (de tes yeux disait l’artiste).
Il me faut bien cinq minutes pour le rattraper et encore, c’est Amédée qui l’interpelle. L’interrogatoire laisse peu de doute sur l’origine cardiaque des douleurs et le risque d’aggravation d’un possible infarctus ; dans cette hypothèse, on redoute l’apparition de troubles du rythme voire un arrêt cardiaque, cela impose une évacuation en urgence ; en effet, poursuivre l’effort pendant plus d’une heure puis aller à l’hôpital par ses propres moyens fait courir un risque vital trop important, la douleur a débuté il y a un peu plus d’une demi-heure, c’est trop. C’est pour cela que l’on « médicalise » les infarctus et pathologies associées : un médecin peut initier un traitement et traiter les éventuels troubles du rythme.
Marion compose le numéro du PGHM et me passe le combiné, je dois protéger l’appareil du vent sinon mon interlocuteur ne m’entend pas ; pendant ce temps, les autres compagnons constituent un bouclier pour le Cid car l’endroit est balayé par un vent froid (qui lui ne manque pas de souffle, symptôme que ressentait Rodrigue malgré son courage). L’intervention est logiquement acceptée d’emblée et je précise par bribes notre position exacte (je suis venu en touriste !), l’impact éventuel du vent malgré la possibilité de drop zone pour l’hélico quelques mètres au-dessus de notre stationnement. Curieusement, il ne nous est pas demandé d’activer une application pour nous géolocaliser, il n’y a peut être pas beaucoup d’ambiguïté dans cette combe, 200 mètres au dessus du refuge qui porte son nom. Il nous est demandé d’éloigner les autres membres du groupe d’au moins 100 mètres, deux personnes restant auprès du malade, l’un s’occupera des signaux de détresse. Nous plantons plus profondément nos skis en réalisant a posteriori qu’il aurait mieux valu les planter toujours obliques pour mieux les enfoncer mais perpendiculaires à la pente. Pour être mieux visible, Amédée devenu fidèle écuyer de Rodrigue enfile un vêtement vaguement jauni sans lequel il aurait fallu échanger une veste avec un des compagnons...
Malgré 3 couvertures de survie, Rodrigue a froid, je lui fourre mon gilet en duvet sous l’armure et il est désespérant de voir que sur 10 skieurs, 3 seuls ont pu en fournir une, heureusement qu’il n’y avait pas d’autre victime ou coeur blessé (le froid aggravant le défaut de perfusion coronaire). En rentrant le soir chez moi, je frissonne car j’ai du me refroidir sans m’en rendre compte, on imagine alors le risque pour une victime. Nous interceptons les skieurs qui nous suivent pour leur demander un crayon (je rédige une observation au cas où l’interrogatoire ne serait plus possible) et les informer de ne pas rester sur place.
Lorsque l’hélico arrive, il nous dépasse, histoire peut être d’évaluer la drop zone et redescend curieusement de plus de 100 mètres de dénivelé avant de remonter se stabiliser juste au dessus du sol mais à une dizaine de mètres en deçà de nous (endroit moins exposé au vent?). Trois personnes en débarquent avec civière et sac de réanimation. Un médecin est présent, annonce qu’il redemande le retour de l’hélico 20 minutes plus tard et décide de faire un électrocardiogramme (après tout, il y en a bien qui ont fait des prélèvements artériels sur les pentes sommitales de l’Everest qu’il convient de nommer Chomolungma par respect pour le peuple tibétain). Le tracé n’est pas trop parasité par les possibles frissons de Rodrigue ni les décollements intempestifs de ce thorax velu. J’ai remis mes lunettes de vue et suis un peu étonné de constater seulement un discret sous-décalage du ST sur 2 dérivations et espère que le déplacement ne sera pas jugé superflu.
Compte tenu des conditions de réalisation de cet examen, on peut se demander s’il n’eut pas été plus judicieux de le redescendre immédiatement dans la vallée (en sachant que le retour sur Grenoble imposait de reprendre alors à nouveau 1000 mètres d’altitude) ou alors de l’évacuer directement à l’hôpital ; on retrouve ici le débat entre les systèmes de santé américain et français. De toute façon, le temps de l’installer dans la civière et de préparer l’approche de l’hélico, l’appareil ne pouvait pas rester en rotation.
Le médecin décide de poser une perfusion et me propose de le faire ; j’hésite un instant car je devrais peut être lui laisser ce geste noble, redoutant également un cathétérisme veineux très difficile en raison de la vasoconstriction induite par le froid, l’un de nous deux doit aussi préparer la perfusion et l’aspirine ; ne connaissant pas le rangement de son sac, je choisis la perspective de l’exploration veineuse plutôt que de me lancer dans une inventaire délicat en l’absence de mobilier plus conséquent. Un des assistants, manifestement habitué aux partenaires de rencontre, me sert deux fois puisque si les veines se dilataient suffisamment, j’ai malencontreusement tiré sur le premier cathéter, ce n’est vraiment pas comme à la maison ! Injection d’aspirine après une prise de tension un peu difficile car après retrait de la manche de la veste, il y avait encore trois couches de vêtements.
Pendant que le médecin transmet son bilan et rappelle l’hélico (qui mettra plus de 15 minutes à revenir, donc bien au-delà de l’horaire prévu initialement, tout est plus long en montagne) les assistants commencent à tasser la neige avec leurs pieds ; je leur propose de le faire avec nos skis, mais ils ne le souhaitent pas ; on les imite mais je finis par prendre ma pelle, déçu de ne pas l’avoir fait plus tôt. Il s’agit en fait de constituer une surface correspondant à l’empâtement des patins de l’hélicoptère qui prendra ainsi « appui » pendant que les secouristes installeront la victime, sauf si cela paraît impossible pour le pilote auquel cas un hélitreuillage sera effectué. Rodrigue est ensuite invité à prendre place dans la civière dans laquelle est calé l’appareil de surveillance ; c’est bien le patient qui pense à faire démonter la poignée de son airbag (son sac pourra être embarqué), Amédée n’y arrive pas du premier coup, un des secouristes le fait en un quart de tour. Avant l’arrivée de l’hélico, je dois aller « m’allonger » sur nos sacs près de nos skis qui ne sont qu’à quelques mètres, pendant qu’Amédée reprendra le signalement de demande de secours.
Le vacarme de l’appareil est considérable (et pourtant ce n’est pas nouveau) et le violent souffle créé nous projette douloureusement de la neige glacée sur le visage, on comprend pourquoi les secouristes portaient un masque (j’ai logiquement gardé mon casque, heureusement). Un des gants d’Amédée, un peu mal enfilé s’envole, je le vois passer en flèche à côté de moi et en me retournant, j’ai la chance de pouvoir le récupérer, Les skis vibrent mais restent en place. Amédée aide les trois autres à charger avant de revenir chausser ses skis et de regretter d’avoir manqué le début d’un couloir que je n’aurai pas pu descendre, les autres compagnons nous attendant au refuge puisqu’ils devaient évacuer les lieux.
Partis pour Grenoble, les membres du groupe Hansky nous apprendront qu’ils l’ont glissé dans un lit et que la coronarographie (examen des artères du coeur par l’intérieur) a été faite dans les deux heures avec nécessité d’une nouvelle angioplastie. Et voici le drame du héros Cornélien qui devra patienter sous bithérapie antiplaquettaire pendant un bon moment avant de sélectionner malgré lui ses activités sportives lorsque la réadaptation sera terminée. Les hommes ne naissent ni libres ni égaux contrairement à ce que déclarent les constitutions, et les femmes encore moins. Rodrigue a une bonne hygiène de vie (pas d’intoxication), est sportif mais sans doute un bagage génétique moins favorable (vieillissement prématuré des artères par dépôt d’athérome).
Rien de particulier concernant notre descente finale qui se termine à pieds suite à la fonte de la neige en cette après-midi finalement bien avancée.
Bilan : objectif revu à la baisse mais on est content que Rodrigue ait pu être traité à temps, des progrès à faire sur la disponibilité du matériel en cas d’incident, une journée profitable, y compris en terme de renoncement. On se rattrapera...
Comment ne pas repenser à cette équipe conduite par Dan Mazur, qui montait en 2006 au sommet de Chomolungma et rencontra Lincoln Hall qui nécessitait leur aide ? Le prix à payer était conséquent, quelques commentaires et liens sur https://summit-day.com/lincoln-hall-miracule-everest/ ou https://forum.camptocamp.org/t/documentaire-miracle-sur-leverest/96090/2.





